Pour un pacte social et écologique fondé sur la justice fiscale
La Coalition Corona, large plate-forme d’organisations belges de la société civile, appelle le gouvernement belge à adopter une réforme ambitieuse pour une fiscalité juste et durable au service de la réduction des inégalités et de la reconstruction post-Covid.
La pandémie de Covid-19 a pour effet d’exacerber les inégalités mondiales. D’un côté, la fortune des dix personnalités les plus riches de la planète s’est accrue en 2021 de plus de 400 milliards de dollars et celles des 500 plus riches a atteint le chiffre record de 8,4 billions de dollars. A l’opposé, plus de 100 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans l’extrême pauvreté. La pandémie a également pour conséquence d’augmenter les inégalités au sein des pays en réduisant de manière disproportionnée les revenus des travailleurs peu qualifiés, des jeunes et des femmes.
Dans le même temps, la situation budgétaire des Etats s’est fortement détériorée, du fait de la crise sanitaire qui a fait grimper l’endettement public mondial à des niveaux sans précédents. L’année 2020 a vu la plus forte augmentation de la dette sur un an depuis la Seconde Guerre mondiale, une hausse de 28 points pour atteindre 256 % du PIB mondial (ou 226 000 milliards de dollars). La facture des catastrophes climatiques s’est ajoutée à celle de la pandémie. La Belgique, et singulièrement la Wallonie affectée par les inondations de l’été dernier, en savent quelque chose.
Le monde est confronté à un besoin flagrant d’investissements publics dans la transition écologique, la santé, la protection sociale et l’enseignement
Or, le monde est confronté à un besoin flagrant d’investissements publics dans la transition écologique, la santé, la protection sociale et l’enseignement. En Europe, la Cour des comptes évalue à plus de 1 000 milliards d’euros par an les dépenses d’investissements requises pour atteindre la neutralité carbone en 2050. La Commission européenne estime que 350 milliards d’euros supplémentaires sont nécessaires chaque année rien que pour le système énergétique. Selon les calculs de la Cour des comptes européenne, les investissements publics envisagés sont loin du compte.
Les timides avancées internationales sur le front de la taxation des multinationales ne suffiront pas. Il est urgent de faire de la justice fiscale une priorité politique au service de la reconstruction post-Covid, au niveau international comme sur le plan domestique. La justice fiscale, en garantissant que chaque catégorie de revenu contribue à sa juste part, permet de réduire les inégalités et de mobiliser les moyens nécessaires pour financer la transition écologique et sociale.
En Belgique, l’injustice fiscale concerne en particulier la différence entre la taxation des revenus du travail et du capital, le manque de progressivité de l’impôt sur les personnes physiques et la multiplication des niches fiscales.
En Belgique, l’injustice fiscale concerne en particulier la différence entre la taxation des revenus du travail et du capital, le manque de progressivité de l’impôt sur les personnes physiques et la multiplication des niches fiscales. C’est pour cette raison que la Coalition Corona, qui fédère en Belgique les mutuelles, les syndicats, les coupoles d’ONG, les réseaux de lutte contre la pauvreté, la Coalition Climat, Greenpeace et les réseaux pour une finance responsable, appelle le gouvernement fédéral à adopter une réforme fiscale avant la fin de la législature.
Les éléments-clés d’une telle réforme devraient s’appuyer sur une véritable transparence fiscale globale et viser à taxer équitablement tous types de revenus des personnes physiques et les imposer de manière plus progressive, en exonérant les plus bas revenus ; instaurer un impôt progressif sur les revenus du patrimoine et un taux effectif minimum d’impôt des sociétés ; instaurer une contribution exceptionnelle sur les grands patrimoines ; réformer le système des « voitures salaires » et des cartes de carburant ; renforcer les moyens de la justice contre la criminalité financière et recruter des inspecteurs supplémentaires au SPF Finances pour renforcer les contrôles et lutter contre la fraude fiscale.
Au niveau européen, la justice fiscale permettrait à l’UE de mobiliser des ressources propres pour financer le plan Next Generation et le Green Deal européen – notamment à travers la mise en œuvre d’une taxe européenne suffisamment ambitieuse sur les transactions financières.
Ces mesures permettraient de s’engager dans une trajectoire saine, tant sur le plan budgétaire qu’en matière de transition écologique et sociale. De récents sondages ont montré qu’elles bénéficiaient d’un soutien de la majorité de la population, au nord comme au sud du pays.
En revanche, procrastiner ou se réfugier derrière les difficultés institutionnelles ne serait pas à la hauteur de l’enjeu. Dès à présent, le gouvernement fédéral doit poser les jalons d’une fiscalité juste et durable.
Signataires
Bernard Bayot, directeur de Financité ; Thierry Bodson, président de la FGTB ; Elisabeth Degryse, Vice-Présidente de la Mutualité Chrétienne ; Valérie Del Ré, directrice de Greenpeace ; Ariane Estenne, présidente du MOC ; Axelle Fischer, secrétaire générale d’Entraide & Fraternité/Action Vivre Ensemble ; Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris ; Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté ; Daniel Puissant, coordinateur du Réseau Justice Fiscale ; Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC ; Guy Tordeur, président du Réseau belge de lutte contre la pauvreté ; Xavier Toussaint, Président de la CSC-Enseignement ; Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB ; Noémie Van Erps, secrétaire générale des Femmes Prévoyantes Socialistes ; Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition Climat ; Bruno Vinikas, vice-président du Forum Bruxelles contre les inégalités ; Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11.
Carte blanche parue dans L’Echo le mercredi 19 janvier 2022.