Le 10 décembre marque l’anniversaire de la déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée en 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies, et qui constitue l’un des trois textes fondamentaux de la Charte internationale des Droits de l’Homme à côté du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques (1966) et du Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels (1966).
En ratifiant ce cadre international, les Etats s’engagent à respecter les Droits de l’Homme, à protéger les citoyens contre des violations en matière de droits humains et à prendre des mesures pour faciliter l’exercice de ces droits. Ceci signifie également la nécessité de garantir la primauté des droits humains sur les intérêts économiques et commerciaux, en vertu de l’article 103 de la Charte internationale des Droits de l’Homme.
La mondialisation et les victimes d’abus de droits humains
Toutefois, la mondialisation a modifié la configuration des échanges économiques et commerciaux internationaux [1]. Dans ce contexte, l’éclatement et la segmentation des différents maillons de la chaîne de production permettent aux entreprises qui mènent des activités transnationales de bénéficier d’une large protection pour sécuriser leurs intérêts économiques et commerciaux par le biais d’accords de commerce et d’investissements qui leur sont fortement favorables [2]. A contrario, il n’existe pas de protection contraignante équivalente aux niveaux européen ni international en faveur des droits de l’homme et de l’environnement à même de protéger les personnes et les communautés affectées par les activités de ces entreprises [3].
Or, un nombre croissant de situations d’abus impliquant des entreprises est répertorié chaque année à travers le monde [4], en particulier dans les pays du Sud [5]. Ces atteintes aux standards internationaux en matière de droits humains et d’environnement sont particulièrement nombreuses et visibles dans des secteurs sensibles et socialement à risque tels que les industries extractives, la construction, le textile, l’alimentation, le bois, le dragage ou encore les forêts. C’est non seulement le cas des victimes très médiatisées de l’effondrement de l’usine textile Rana Plaza Rana Plaza au Bangladesh et des marées noires en Équateur suite au déversement de Chevron/Texaco, mais aussi plus largement des paysan.ne.s dont les terres ont été polluées, déforestées voire accaparées [6], des défenseurs des droits humains et de l’environnement qui sont assassinés [7], ou encore des travailleur.euse.s exploité.e.s ne bénéficiant pas de conditions de travail décentes [8].
La nécessité d’un instrument juridiquement contraignant
La nécessité de mettre fin à l’impunité des entreprises concernées par ces abus a alimenté les discussions autour du principe de « diligence raisonnable » et abouti à des initiatives volontaires incitant à une plus grande « responsabilité sociale des entreprises ». L’adoption des Lignes directrices de l’OCDE sur les entreprises multinationales [9] ainsi que des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme [10] ont représenté les premiers aboutissements d’une prise de conscience à l’échelle internationale. La Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT [11] révisée en 2017 va également dans le même sens. Si chacune de ces normes et règles a le mérite de poser un cadre, il demeure toutefois à portée limitée et/ou juridiquement non contraignant. Par conséquent, non seulement les entreprises transnationales continuent d’utiliser leur pouvoir économique pour échapper aux sanctions, mais en outre les demandes d’accès à la justice et de réparation de la part des victimes sont rendues fortement complexes sinon caduques par les lacunes des régulations existantes, à l’image du cas de l’amiante avec l’entreprise Eternit installée en Belgique [12].
En Europe, diverses initiatives existent ou sont en cours d’élaboration pour introduire – même partiellement – le devoir de vigilance devoir de vigilance et l’obligation légale pour les multinationales de prendre en compte et de remédier aux conséquences de leurs activités tout au long de leur chaîne d’approvisionnement [13]. Un nombre croissant d’Etats a engagé des réformes législatives relatives à la responsabilité juridique des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre, la loi française sur le devoir de vigilance adoptée en 2017 étant l’illustration la plus aboutie à ce jour. Si cette pléthore d’initiatives législatives à l’échelle nationale est une avancée nécessaire [14], elle n’est toutefois pas suffisante et comporte en outre le risque de voir les multinationales responsables de violations continuer à se jouer des frontières pour échapper à toute forme de sanction juridique.
Mettre fin à l’impunité des entreprises, transnationales et autres, en matière de droits humains et d’environnement nécessite dès lors l’adoption d’un cadre légal universel et contraignant. Les négociations en cours depuis 2014 au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies constituent à cet égard une opportunité historique d’adopter un traité multilatéral contraignant, ce qui représenterait un progrès décisif. Un principe auquel le Parlement européen a, sous la précédente législature, affirmé son adhésion à travers l’adoption de neuf résolutions [15] et qui est également repris dans les accords de majorité des gouvernements régionaux belges [16]. Un engagement auquel la société civile belge sera particulièrement attentive.